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TélescoPages

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Jérôme Attal - 37, étoiles filantes

Je continue mon exploration de l'oeuvre de l'écrivain Jérôme Attal à travers le livre 37, étoiles filantes, paru en 2018. La fiction se condense autour d'un fait divers réel, ou tout au moins rapporté comme tel par le peintre Balthus. Au journaliste qui lui demande son avis sur Alberto Giacometti, il répond qu'il se souvient qu'en 1937, le sculpteur avait été victime d'un accident de la circulation (une voiture lui a écrasé le pied) et que Jean-Paul Sartre qui n'avait pas encore publié "La nausée" et dont la réputation ne dépassait pas encore la ceinture francilienne, disait à qui voulait l'entendre: "Il lui est enfin arrivé quelque chose". Une vacherie mondaine à l'état brut qui a excité la fibre imaginative de Jérôme Attal.

Jérôme Attal - 37, étoiles filantes

L'histoire est celle de deux coqs dans la trentaine, dont la réputation - ou la valeur marchande - n'a pas encore atteint le volume d'un ego qui dépasse largement les limites de leurs corps. Les deux protagonistes se connaissent, fréquentent les mêmes cercles dans le Montparnasse de l'année 1937 (qui a donné une partie de son nom au livre). Alberto éprouve une certaine estime pour Jean-Paul jusqu'à ce qu'Isabel, sa dernière conquête en date, excédée par son attitude de séducteur compulsif, y compris dans la chambre d'hôpital où il est soigné, lui apprenne la vacherie de Jean-Paul. "Il lui est ENFIN arrivé quelque chose". Piqué au vif, Alberto n'aura alors de cesse d'aller lui casser la gueule.

Alberto n'est pas encore Giacometti et Jean-Paul n'est pas encore Sartre. En 1937, le philosophe n'a pas encore atteint la notoriété de Jean-Sol Partre que lui prêtera Boris Vian dans les années d'après-guerre. Et Jérôme Attal s'amuse de cet état de fait. Il dresse de Sartre un portrait d'intellectuel volontiers lubrique et préoccupé par sa réussite personnelle, en quête incessante de nouveaux -ismes, qui parle ad nauseam de son premier livre à paraître, Melancholia que son éditeur renommera "La nausée", à son opticien, à Alberto, à son entourage, mais qui par ailleurs se prend un cintre sur la tête, ou un coup de poing dans le ventre d'Anaïs Nin, parce que l'auteur démiurge du livre a décidé de se la jouer justesse divine. Il fait aussi de Giacometti un être capable de se gâcher un orgasme parce qu'il est obnubilé par "l'assassinat typiquement parisien" du philosophe, et capable d'offrir une petite statuette à une femme dont il tombe éperdument amoureux en lui disant: "cette petite sculpture vous paiera le trajet en Amérique". Ce qui n'est pas sans rappeler la morgue d'un John Lennon adolescent persuadé de sa célébrité à venir (petite parenthèse Beatles fermée).

Au-delà de cette rivalité temporaire prélude d'une amitié solide entre les deux hommes, Jérôme Attal revisite le Paris virevoltant et "au charme vain" dont Hemingway dira qu'il est une fête, ou que Woody Allen mettra en scène dans "Midnight in Paris". Le Paris des bordels encore ouverts. Le Paris des cafés-territoires avec terrasses déjà célèbres et célébrées. Le Paris des soirées jazz où les musiciens noirs américains aiment oublier la ségrégation. Y évoluent les figures de proue de la culture germanopratine émancipée: Simone de Beauvoir, Anaïs Nin, François Mauriac, Jean Cocteau, le peintre Tsuguharu Foujita, André Breton, Paul Eluard, Robert Desnos, Antonin Artaud... Et déjà, comme un poison dans le fruit, se propage l'idéologie plus germaine que pratine des loups d'outre-Rhin qui bientôt entreront dans Paris, tandis qu'en Espagne "on exécutait à tour de bras", que Mussolini "alignait sa trajectoire dans les visées d'Hitler", que les camps étaient en train de se former. "Quand on baissait les yeux dans la rue, on y trouvait davantage de tracts que de pavés." Ainsi Jérôme Attal n'oublie pas que Paris by night, ce sont aussi ces juifs que l'on jette dans la Seine dans l'angle mort ou opaque de ces fêtes.

37, étoiles filantes est un livre qui regorge de poésie, de fulgurances, d'humour subtil, d'aphorismes qui sont peut-être un héritage d'Oscar Wilde, avec qui l'auteur partage un certain dandyisme, cette aspiration à être sublime sans interruption comme le définissait Baudelaire. Ou à maquiller la trivialité des désirs humains sous un vernis impeccable, en les déguisant des atours de l'amour courtois. La séduction est en effet omniprésente, dans les rapports entre les sexes, dans les rapports professionnels, dans les rapports entre artistes et public, dans le rapport entre l'écrivain et le lecteur. Même la discorde entre les protagonistes prend la forme empreinte de noblesse d'un duel. Et la délicatesse.

Tout comme avec les autres livres de cet auteur que je découvre tardivement, j'ai ressenti énormément de plaisir, à arpenter les rues de Paris, à palper l'air du temps d'avant Nina Ricci, à explorer les pensées intimes projetées sur les personnages, et je me réjouis à l'idée de cette quinzaine de livres que je n'ai pas encore lus de Jérôme Attal.

Jérôme Attal - 37, étoiles filantes
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