Maria Pourchet - Feu

Certains livres touchent plus que d'autres. Sans doute parce qu'ils réveillent des souvenirs douloureux, qu'ils ravivent des plaies tout juste cicatrisées. Feu de Maria Pourchet en fait partie. J'ai été à peu de choses près l'un des personnages (secondaires) de ce roman, et d'une certaine manière, il y a un certain réconfort à entrer dans la peau de ces deux protagonistes que tout oppose, à assister au déroulement de leurs pensées et à la construction de leur passion amoureuse. Pour comprendre. Ou apprendre. Rétrospectivement certes mais il n'est jamais trop tard. C'est l'une des puissances de la littérature réaliste.

C'est pourquoi je n'ai pas été très surpris quand Maria Pourchet a expliqué en interview avoir prétexté l'écriture de ce livre pour nettoyer vingt-cinq ans de blessures amoureuses. L'écriture thérapeutique de l'auteure n'est pas égoïsme puisque peut y répondre en écho une lecture thérapeutique. L'amour passion a sillonné des cicatrices chez nombre de victimes. Souvent comme le personnage de Laure, une enseignante quarantenaire mariée, maman de deux filles dont l'une traverse une crise d'adolescence, et qui se découvre élément moteur de cette relation adultère. Souvent comme le personnage de Clément, cinquantenaire cynique et désabusé, pour qui l'amour ne représente plus rien d'autre que quelques séances hygiéniques de baise désincarnée entre corps inhabités ou contre rétribution. Parfois en tant que les deux quand le feu de la passion consommée a consumé jusqu'à la brûlure au troisième degré et que plus jamais ça, mais ça te retombe dessus quand même. Et parfois en tant qu'Anton, mari délaissé qui assume pratiquement seul la tenue du foyer pendant que sa femme se consume ailleurs.

Feu m'a de ce fait captivé, mais en réalité, ce n'est pas seulement pour une raison de résonance personnelle. C'est aussi et avant tout une belle histoire de passion dévorante, ainsi qu'un roman que j'ai trouvé très bien écrit, maîtrisé, rythmé. Il y a le fond et il y a la forme. Il a ce qui se passe dans la tête et ce qui se passe dans le corps des deux personnages principaux qu'a priori tout oppose. Lui, qui n'est encore relié à la vie que par l'amour qu'il éprouve pour son chien malade, qui n'en a strictement plus rien à foutre de la banque en quasi-faillite qui a fait sa richesse matérielle, élevé par une mère rigoriste qui hait le désir et contre qui on devine qu'il s'est bâti en opposition, mais sur qui ce combat a laissé des traces profondes. Elle, dont la mère et la mère de la mère continuent leur travail intérieur d'injonctions et de sape depuis la tombe, la rendant pusillanime, enfermée dans une gangue d'immobilisme et lancée à vitesse contrôlée sur les rails d'une vie sans surprise. Lui, qui malgré la pratique du sport se trimballe une hypertension de niveau 2, une anesthésie émotionnelle dont cette histoire le sort par intermittence et qui s'observe avec incrédulité s'inscrire dans le vocabulaire et le geste amoureux tout en continuant en parallèle sa vie d'avant. Elle, qui se découvre une audace insoupçonnée, qui se donne sexuellement comme jamais avant, qui souffre et souffle sur les braises de sa propre humiliation, qui symboliquement tue enfin sa mère et la mère de sa mère pour vivre enfin, mais qui n'atteindra jamais le niveau d'émancipation de sa propre fille. Lui, froid et houellebecquien. Elle, intense et émotionnelle. Deux dragons qui s'entraînent mutuellement dans la chute parce qu'aucune autre issue n'est possible, dans un feu qui fera cendres de tout bois. Qui sera le phénix ?

Feu sera au minimum un livre jubilatoire ou expiatoire pour celles et ceux qui entament la deuxième partie de leur vie amoureuse, ou qui souhaitent tirer un trait sur un passé amoureux subi. Pour les autres, je ne peux plus me prononcer, biaisé que je suis par mon parcours de vie. C'est en tous les cas un livre que je trouve vraiment réussi et qui me donne envie de lire d'autres choses de Maria Pourchet.

"Feu", Maria Pourchet

Laure, prof d'université, est mariée, mère de deux filles et propriétaire d'un pavillon. À 40 ans, il lui semble être la somme, non pas de ses désirs, mais de l'effort et du compromis.Cléme...

https://www.fayard.fr/litterature-francaise/feu-9782213720784