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TélescoPages

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Philippe Bihouix, Karine Mauvilly - Le désastre de l'école numérique - Plaidoyer pour une école sans écrans

Je sors de la lecture d'un livre-claque: Le désastre de l'école numérique - Plaidoyer pour une école sans écrans sorti en août 2016 et écrit à quatre mains par l'ingénieur Philippe Bihouix et l'historienne juriste Karine Mauvilly. Comme il m'arrive de faire souvent long quand je parle d'un livre, je vais tout de suite à l'essentiel pour les personnes qui se lasseront avant la fin. Si vous avez des jeunes enfants et que vous vous posez des questions sur les outils numériques, s'il-vous-plaît, lisez ce livre. Faites-le pour eux, pour vous, et parlez-en autour de vous. À un moment, face à la puissance du marketing, nous avons aussi le pouvoir de nous informer, ou le devoir en tant que parents dans ce cas précis.
C'est un livre sans concession, d'une lucidité crue qui n'est pas sans rappeler le passage de Candide où le jeune héros voltairien rencontre un esclave mutilé au Surinam qui lui dit cette phrase qui m'est restée intacte en mémoire depuis mes 15 ans: "C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe." Une petite réactualisation s'impose, certes. C'est au prix d'une Afrique aux fleuves et terres pourris par nos déchets électroniques, au prix de divers pays miniers pourris par les pollutions liées aux procédés d'extraction, des mines dont l'exploitation finance la terreur imposée par des seigneurs de guerre mafieux, au prix du travail de millions de Chinois dont des enfants à la frontière de l'esclavage et dans des conditions d'insalubrité dramatiques, au prix d'une extraction pétrolière de plus en plus délétère (sables bitumeux et pétrole de schiste qui dont l'exploitation nécessite déforestations et pollutions), c'est à ces prix-là que nous pouvons nous envoyer des lolcats en Occident.
L'impact mortifère sur la nature, sur l'environnement et sur l'être humain est de plus en plus difficile à oblitérer. Pourtant, nous sommes nombreux à acheter et racheter des ordinateurs, des smartphones, des tablettes, tandis que de plus en plus d'objets connectés font leur apparition chaque semaine et que l'électronique s'infiltre dans les moindres recoins de nos vies. Or, d'un côté, l'électronique ne se recycle quasiment pas: moins de 1% de la matière des composants, de l'autre, certaines des mines seront bientôt taries, et enfin, le pic du pétrole "facile" est passé depuis 10 ans. Un magnifique effet ciseau en perspective moyen terme.
Cet impact environnement en vaut-il au mois la peine ? Le livre aborde la question du point de vue de l'éducation des enfants et le verdict est sans appel. La science, quand elle a suffisamment de recul, nous dit que l'éducation via la technologie est un mirage, et pour le reste, il est encore trop tôt pour se prononcer scientifiquement. Mais l'expérience empirique des gens de terrain, les enseignants, montre une inefficacité quasi totale des TICE (Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement). Il semblerait que nous soyons en train de sacrifier une génération sur l'autel des promesses cornucopiennes des entreprises de la Silicon Valley. La France dépense un budget TICE pour l'enseignement qui dépasse 1 milliard d'euros par an, maintenance non-incluse, pour du matériel obsolète en 4 ans, que les enseignants ne sont pas formés à utiliser, qui tombe en panne, qui nécessite du temps pour la mise en place, et qui finit souvent par prendre la poussière dans une armoire. Sans surprise, les initiatives politiques à l'origine de ces décisions sont le résultat d'un lobbyisme des géants du numérique.
Ces plans gouvernementaux numériques qui se soldent systématiquement par des échecs se répètent inlassablement sur la base de mythes: le green IT, la pédagogie active et motivante, la préparations aux métiers de demain (alors qu'il est probable que l'IA aura des impacts énormes sur ces fameux métiers), le zéro papier (alors que le papier est recyclable et les machines non), l'apprentissage par le fun (ou le fait de ne plus croire aux vertus de l'effort et du travail), la possibilité de se passer de ces grincheux de profs dans le futur en les remplaçant par des apps... Symboliquement, c'est le métier d'enseignant que l'on tue en accordant plus de confiance à la caricature de réalité qu'est un logiciel qu'à un être humain.
De leur côté, les élèves font de plus en plus leurs devoirs sur ordinateur et apprennent à utiliser le copier/coller plus qu'à réfléchir. Ainsi, les professeurs de langue doivent maintenant faire face aux traductions Google Translate rendues en lieu et place d'un travail personnel. D'un autre côté, les cours sont disponibles en ligne pour lecture immédiate, alors qu'il est largement prouvé que la mémorisation se fait bien mieux par l'écrit. Enfin, l'enseignement nécessite l'attention des élèves. Or celle-ci est de plus en plus sollicitée jusqu'au coeur des salles de classe par les smartphones.
Effets collatéraux: la myopie qui touche désormais une personne sur deux et qui a explosé depuis 20 ans au point d'être considérée comme une épidémie est semble-t-il très corrélée à l'utilisation des écrans qui se fait le plus souvent en intérieur et entraîne une fatigue due à la suraccommodation des yeux, alors qu'en passant plus de temps à l'extérieur, on les fatigue nettement moins et on profite de plus de lumière naturelle qui favorise leur bon développement. Par ailleurs, les enfants deviennent accros et cela s'en ressent sur le temps, la qualité de sommeil, leur poids et leur forme de façon générale.
L'innovation n'est pas le monopole de la technologie. Il est tout à fait possible d'innover dans les méthodes d'enseignement. La majorité des innovations de ce type ne font d'ailleurs pas appel aux TICE. Je pense aux proposition de Céline Alvarez, à la méthode Montessori, ou à la méthode Suzuki, mais le livre en liste beaucoup d'autres.
Ce livre est largement à charge mais les arguments sont terriblement convaincants: les faits sont comme toujours têtus. Et peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que les enfants des patrons des grosses entreprises technologiques sont pour beaucoup des élèves d'écoles sans TICE mais avec du budget (ce qui revient à moins d'élèves par classe). Steve Jobs interdisait l'usage des smartphones et tablettes à ses propres enfants. Si ce n'est pas un signe fort...
Philippe Bihouix, Karine Mauvilly - Le désastre de l'école numérique - Plaidoyer pour une école sans écrans
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